Prises de position !

Engagée dans de nombreuses actions avec et pour les exilé.e.s, souvent avec d’autres acteurs associatifs et publics, notamment les collectivités, la Ligue de l’Enseignement s’inquiète des récentes déclarations du président de la République et du gouvernement en matière d’immigration.

A peine la loi « asile et immigration » de 2018 entrée en vigueur qu’on nous annonce une série de mesure destinées à « affronter sans fausse pudeur les défis de la pression migratoire» et « lutter contre les abus du droit d’asile ». Nous devrions faire face à une « crise migratoire ».

Or il n’y a pas de crise migratoire. Les migrations humaines sont des faits marquants de toute l’histoire de l’humanité – 1,8 millions de français sont déclarés vivant actuellement hors de France et sans doute près de 3 millions au total- et leurs causes en sont de tous temps les mêmes : pour le meilleur,  le  libre choix de partir hors de son pays et pour le pire, les guerres, les dictatures, les famines, la pauvreté et les catastrophes naturelles et climatiques.

« La ruée migratoire vers l’Europe est un grand fantasme » comme le rappelait récemment le démographe Hervé le Bras (1).

Certes la guerre en Syrie a provoqué ces 3 dernières années une arrivée plus importante de demandeurs d’asile. En 2018, en France, 127000 demandes d’asile ont été déposées , soit 0,2% de la population, et à peine un quart ont été acceptées, notre pays n’est qu’au onzième rang européen de l’asile. Ce sont les pays les plus pauvres du monde qui accueillent 85% des exilé.e.s. Le nombre de titres de séjours accordés chaque année en France  - 200000- est stable depuis une vingtaine d’années, le regroupement familial qui est un droit reconnu par le droit international, également. Quant aux étudiants étrangers dans nos universités, la décision inique prise en 2019 de multiplier par dix leurs droits d’inscription en a déjà découragé des milliers de venir étudier en France, malgré le choix juste de nombreux conseils d’université de refuser cette mesure.

Il n’y pas de crise migratoire, mais il y a une dégradation des conditions d’accueil des exilé.e.s dont nous sommes témoins chaque jours dans les actions que nous menons et dans nos vies quotidiennes de citoyens.

Comment ne pas s’indigner de ces milliers de personnes qui vivent et dorment à la rue, y compris des enfants que la Convention internationale des droits de l’enfant signée il y a 30 ans protège pourtant ? Comment ne pas s’inquiéter devant ces parcours kafkaïen, pire encore avec la dématérialisation des démarches,  que subissent les demandeurs d’asiles et de permis de séjours dans nos institutions publiques pour les décourager de faire valoir leurs droits d’être protégés, de vivre, de travailler, d’être considéré comme humains tout simplement ? Comment ne pas se révolter devant ce projet d’instauration d’un délai de carence de trois mois imposé aux demandeurs d’asile pour accéder aux soins, quand on sait l’enfer qu’ils ont traversé ?

Comment ne pas s’étonner d’un possible recours aux quotas pour l’immigration d’emploi alors que les acteurs économiques les considèrent comme inutiles ? Comment ne pas s’alarmer de ces mineurs non accompagnés rejetés des structures d’accueil le jour de leur majorité, alors qu’ils sont de surcroit le plus souvent en cours de scolarité ou de formation ?

Comment ne pas s’insurger de cette mer Méditerranée et du Sahara devenus des cimetières pour des dizaines de milliers d’exilé.e.s parce que l’Europe se claquemure et passe des accords avec les états riverains pour leur déléguer la gestion de la misère et des drames ?

Comment allons-nous pouvoir regarder dans les yeux de nos enfants lorsqu’ils nous demanderons bientôt pourquoi nous avons laissé faire cela à nos frontières ? Comment pourrons-nous encore leur parler de citoyenneté, de liberté, de fraternité ?

Nous pourrions multiplier les exemples qui témoignent d’un durcissement sans précédent des conditions d’accueil des exilé.e.s et demandeurs d’asile en France depuis 1945.

Certes c’est une tendance amorcée il y a une trentaine d’années déjà, mais cela n’excuse en rien les dernières tentatives d’aggraver encore la situation.

D’autant que les motivations de cette politique apparaissent à nouveau sous leur détestable jour : prétendre pour l’extrême droite en faire un thème de campagne électorale et pour d’autres, au contraire, prétendre contenir le vote pour cette même extrême droite. Or l’histoire enseigne qu’a « vouloir manger avec le diable on finit dans son assiette, même avec une grande cuillère »!

Il n’y a pas de crise migratoire, il y a une crise d’humanité.

La Ligue de l’Enseignement veut déjà rappeler que la logique du « bouc émissaire » qui fait des exilé.e.s et plus généralement des immigré.e.s. des suspects en puissance et les présente comme un danger potentiel -pour les comptes sociaux, pour l’emploi, pour la « sécurité culturelle et identitaire », pour la sûreté de l’état-, cette logique-là constitue un message venimeux à l’opinion. C’est cette logique assumée ou instrumentalisée qui attise les peurs, s’insinue dans les inquiétudes, flatte les nationalismes, corrompt la démocratie et abîme la République.

C’est cette logique qui permet aux discours haineux de se répandre avec complaisance et complicité dans certains médias.

Il est temps que les dirigeants politiques qui prétendent se reconnaître dans la République tiennent sur l’exil et l’immigration une parole de raison et s’interdisent un discours de peur.

Il est temps que la France s’engage dans une véritable politique pour l’hospitalité à l’égard des exilé.e.s, une politique qui s’incarne dans celle de l’état et des collectivités territoriales.

Les habitants y sont prêts. L’immigration, dans ses multiples raisons, n’est pas, et de loin, leur préoccupation majeure et ils s’engagent de plus en plus nombreux dans les actions de solidarité à l’égard des demandeurs d’asile et des réfugié.e.s  qui s’installent pour vivre et travailler dans notre pays.

Une politique pour l’hospitalité doit renoncer à faire de tout exilé.e, de tout immigré.e un suspect.

Une politique pour l’hospitalité doit promouvoir les droits humains, mettre en œuvre le droit international, européen et national et combattre les discriminations.

Une politique pour l’hospitalité doit engager l’état et les collectivités à assurer leurs obligations en matière d’hébergement, de santé, de scolarisation, de formation, de santé, d’insertion professionnelle, d’emploi et de citoyenneté.

Une politique pour l’hospitalité doit promouvoir tout ce qui permet d’améliorer les conditions d’accueil des exilé.e.s et faire progresser les droits, y compris ceux pour une citoyenneté locale reconnue.

Une politique pour l’hospitalité en France ne saurait se concevoir hors du cadre de l’union européenne et doit s’atteler à abroger les dispositions injustes, inefficaces comme le « règlement de Dublin ».

Une politique pour l’hospitalité est la traduction d’une fraternité en actes, d’un monde plus que jamais commun à l’humanité dans toutes ses dimensions.

Une politique pour l’hospitalité est une politique d’humanité. Elle refuse toute dérive vers la déshumanisation. Elle ne choisit pas parmi les humains. Elle ne fait pas d’un prétendu réalisme l’inacceptable alibi de l’inaction et de la lâcheté. Elle témoigne de notre degré d’humanité. Elle marque une volonté farouche de poursuivre notre route vers l’humanisation de notre monde commun.

C’est le choix de la Ligue de l’Enseignement et de son réseau.

  • Interview dans « l’Echo » de Belgique daté du 27 avril 2019